Trouver l’amour sur un site de rencontres : mission impossible ?

En amour, nous voudrions tout, tout de suite – et sans surprise, nous voilà embarqués sur l’autoroute de la déception. Ainsi, l’équivalent américain de notre 60 Millions de consommateurs, le Consumer Report, rapporte-t-il après enquête sur les sites de rencontres le taux de satisfaction le plus abyssal de son histoire. Absolument aucun service ne dépasse la mention passable, et encore, en traînant des deux pieds.

Quatorze plateformes ont été testées sur onze critères différents : sur 154 notes, une seule dépasse la moyenne, et il s’agit du rapport qualité/prix de Tinder. L’application étant gratuite, le contraire aurait été surprenant… Ce sont d’ailleurs les services gratuits qui remportent la très médiocre mise, avec dans l’ordre OkCupid, Tinder, Grindr et PlentyOfFish. Les deux tiers des sites testés n’obtiennent aucune note moyenne ou positive, sur aucun critère.

Cette sévérité étonne quand on apprend que 44 % des sondés ont trouvé sur ces plateformes une relation de longue durée ou un mariage. D’ailleurs, les sites « sérieux » ne correspondent pas au haut du classement (dans l’ordre, pour trouver l’amour : Match.com, loin devant eHarmony, PlentyOfFish et OkCupid). Clarifions : alors que presque la moitié des utilisateurs parviennent à trouver l’âme sœur, leur opinion sur ces plateformes est désastreuse.

Donc ça marche. Mais on déteste. Outre que nous observons là un paradigme amour-haine intéressant, cette ambivalence traduit un décrochage entre le ressenti et les résultats. Trouver la bonne personne est possible, mais le processus demande trop d’efforts. Mais c’est quoi, trop ? Une surabondance de choix, un mauvais algorithme, des interfaces non intuitives ?

Les sites sont bons, nous sommes nuls

Difficile à dire, tant est impressionnante la diversité des approches (de la géolocalisation au test de compatibilité en passant par les femmes aux manettes, le vidéo-tchat ou le tout-photographique). Non seulement on se demande ce que les concepteurs pourront encore inventer, mais le marché est saturé. Pour un site dont vous connaissez le nom, il existe vingt copies anémiques, occupées par trois utilisateurs dont deux sont des robots et le dernier un stagiaire payé pour faire l’animation (c’est pourquoi je recommande de choisir les mastodontes de la rencontre, qui non seulement ont moins besoin de faux profils, mais seraient bien plus négativement impactés par des accusations de tricherie.)

Si le marché sature, c’est bien qu’il a du succès, et s’il a du succès, c’est qu’on y retourne, et que, donc, tous les acteurs ne sont pas nuls. Ou pas à ce point. Les choses bougent, et si on est déçu aujourd’hui, on pourrait trouver le Graal demain (dernière nouveauté en date : l’application Hater permet de trouver des partenaires qui détestent les mêmes choses que nous – vous pouvez trouver l’idée risible, mais elle n’est pas entièrement absurde).

Je propose donc l’explication suivante : les sites sont bons, c’est nous qui sommes nuls. Nous, les utilisateurs (donc potentiellement vous, lecteurs – vous ai-je souhaité un excellent dimanche ?). Avant qu’on n’en vienne aux noms d’oiseaux, notons que les adeptes d’ornithologie trouveront leur moitié sur Animal People ou Bird Watcher Buddy (oui, ces deux sites existent). Et je précise que nous ne sommes pas nuls personnellement, mais seulement nuls en relation les uns avec les autres – est-ce une consolation ou un double coup de poignard dans le dos, je vous laisse décider.

Quoi qu’il en soit, nous demandons à nos âmes sœurs d’enfiler un nombre tellement aberrant de costumes (parent, partenaire domestique, co-conducteur, amant, coach, psy, meilleur ami) qu’on peut raisonnablement parler de perle rare dans une botte de foin.

Attentes virtuelles contre attentes réalistes

Pour preuve, parmi les sondés ayant cessé de fréquenter les sites ou applications de rencontre, 20 % des hommes et 40 % des femmes l’ont fait à cause des autres utilisateurs : ils et elles ne trouvaient pas leur bonheur parmi les profils proposés – sans même parler des inévitables premiers rendez-vous apocalyptiques, des trolls ou des mensonges.

L’autre n’est pas l’ennemi. Nos attentes pharaoniques le sont. Parce que nous voulons à tout prix croire en l’amour « facile » (ce que personne ne prétend offrir), nous oublions que nous sommes incroyablement compliqués à satisfaire. Nous oublions aussi que nous méprisons la plupart de nos sympathiques concitoyens, à divers degrés de misanthropie (est-ce votre voisin qui tape comme un damné sur sa batterie ? A cette heure-ci ? Y’a plus de jeunesse).

Il suffirait pourtant d’adapter nos attentes virtuelles à nos attentes réalistes. Sur votre trajet de métro, quelle sera la proportion d’individus avec lesquels vous aimeriez faire l’amour ? Selon la dernière édition de la revue Evolutionary Psychology, une femme hétérosexuelle de 35 ans s’autorisera des partenaires de 27 à 46 ans – les hommes hétérosexuels pêchent un peu plus large, de 21 à 49 ans. Ceci dit, n’est pas Emmanuel Macron qui veut : en actes, nos expériences se déclinent sur un éventail d’à peine cinq années autour de notre âge actuel. Pour quelqu’un de ma génération, cela représente un million de Français… dont les trois quarts sont en couple.

Sans même considérer les très cruciales questions de préférences esthétiques, de bonne santé, de politique, de milieu social et d’opportunité, à 160 personnes par rame de métro intégralement remplie, me voilà réduite à une moitié de partenaire potentiel – un quart si nous opérons par la très généreuse prémisse selon laquelle 50 % des hommes me conviendraient. Que fait-on avec un quart d’homme ? Peut-on choisir son quart préféré, nous est-il attribué par l’abattoir le plus proche ? Puis-je demander la tête et un bras – ou vais-je écoper d’une paire de gambettes tranchées à mi-cuisses, et même pas bio ?

Nous sommes devenus ingrats

Notons qu’à ce stade du calcul, l’homme en question n’a pas encore donné son avis (sans doute parce que le cerveau ne faisait pas partie du quart sélectionné). S’il est aussi peu sélectif que moi-même, alors nous tombons à un huitième d’homme à la fois désirable et désiré – et elle fait quoi, la trentenaire contemporaine, avec une omoplate, un coude et trois orteils ? Un pot-au-feu ?

Trouver l’amour dans une rame de métro est hasardeux, mais nous avons le bon sens de ne pas y projeter tout notre avenir amoureux. Nous savons que ces choses prennent du temps, du contexte et de la chance… c’est même l’exacte raison pour laquelle nous allons sur les sites de rencontres, où nous pouvons monter dans une rame de métro personnalisable, composée uniquement d’avocats quadragénaires adeptes de quinoa. C’est mille fois plus simple ainsi. Et j’ai l’intuition que c’est précisément cette simplicité qui fait de nous des ingrats. La nourriture est servie, on voudrait qu’elle soit prémâchée – quitte à ce qu’elle perde sa saveur. Alors vraiment, il serait temps de revenir sur la terre ferme : le Père Noël n’est plus de saison. Mais la Saint-Valentin approche.

Source : http://www.lemonde.fr/m-perso/article/2017/02/12/trouver-l-amour-sur-un-site-de-rencontres-mission-impossible_5078441_4497916.html